Mai 2019, Jamy Gourmaud, science et vie
Six ans après l’arrêt de «C’est pas sorcier», l’animateur culte continue de partager son amour du savoir et de la contemplation du monde.
Il est trois types de personnes qui peuvent s’extasier devant le visage et les binocles de Jamy Gourmaud. Le premier est un enfant né entre 1980 et 2000, biberonné à C’est pas sorcier. Le second est le parent du premier, qui a souvent posé ledit enfant devant la télé. Le troisième est un instituteur, pour qui l’animateur a été un assistant bienvenu.
Pendant près de vingt ans, bien installé au fond de son camion, entouré de maquettes, il a été le prof de science de toute une génération. Mais Jamy est un littéraire. La science, il y est arrivé «un peu par hasard». Après son bac A (ancêtre du bac L), il étudie le droit, puis le journalisme, sans forcément se destiner à la télévision. C’est l’actualité qui crée l’opportunité. 1989 voit tomber le mur de Berlin, le jeune reporter free-lance achète une caméra et «commence à sillonner l’Europe de l’Est». A son retour en France, il rencontre Frédéric Courant, qui deviendra son acolyte. Les deux hommes travaillent pour l’émission de France 3 Fractales. Mais «souvent, à la fin, on avait le sentiment de ne pas avoir plus compris le sujet qu’au départ». Alors, «pour s’amuser», ils imaginent une émission à leur goût et à leur image, «un peu idéale». Il se trouve que la chaîne est à la recherche d’un programme pédagogique destiné aux adolescents, et leur «bébé» fait l’affaire. C’était pas sorcier. «La première émission, c’était sur le son. D’un seul coup, j’ai conceptualisé, j’ai visualisé que lorsque je vous parle, mes cordes vocales vibrent, font vibrer des molécules, qui se bousculent les unes les autres, et que cette onde se propage jusqu’à nos tympans.» Même sous la barbe grise soigneusement taillée qu’il arbore ces dernières années, les éternelles lunettes rondes lui donnent un air enfantin. «Comprendre ce que je ne comprenais pas est devenu une envie quotidienne.» Mais il insiste, il est un «passeur», pas un scientifique.
Jamy Gourmaud est assis dans un fauteuil léopard sous la verrière de son salon, à Clamart (Hauts-de-Seine). Trouvé et retapé par sa femme, artiste touche-à-tout. Là, un ancien meuble des ateliers Renault, ici, le vieil établi de son grand-père. Avec sa chemise à fleurs, son look un peu hipster, Jamy se fond dans le décor. Comme à l’époque de C’est pas sorcier, il parle avec ses mains. C’est le fait qu’ils se connaissent si bien, selon Fred Courant, qui crée l’alchimie sur laquelle le programme repose, les interventions de l’un dans le camion-labo répondant aux «dis donc Jamy» de l’autre en vadrouille. France 3 met fin à l’émission en 2013. «On était tristes. Mais dix-neuf ans à faire la même chose, on a un petit peu les pieds dans des chaussons, peut-être que c’était le bon moment pour rebondir.» Pour Fred, la rupture est plus difficile. Il est licencié de France Télévisions dans la foulée et ne se sent «pas soutenu». Est-ce que ça a changé les choses entre eux ? Jamy jure que non. «On se voit régulièrement, mais moins qu’auparavant puisque nous ne travaillons plus ensemble.» Depuis, Jamy chemine sans Fred. Après C’est pas sorcier, il a eu sa propre émission, le Monde de Jamy, en prime-time sur la 3. Cette fois-ci, il n’était plus enfermé dans un studio. A son tour de parcourir le monde, d’escalader des volcans, de s’essayer au vol en impesanteur dans un avion piloté par Thomas Pesquet. Puis le littéraire reprend le dessus. «J’ai eu envie d’écrire un livre, parce que la télévision ça va très vite.» Il se lance avec Mon tour de France des curiosités naturelles et scientifiques, recueil de 16 endroits qui l’ont ému, racontés par le prisme d’une découverte scientifique ou d’un phénomène naturel.
Jamy et sa femme ont quitté la capitale il y a vingt ans pour s’installer à Clamart, au sud de Paris. Au fond du jardin bien vert sous la pluie de mai trône l’atelier de son épouse. Les Gourmaud ont eu deux fils, qui ont tant baigné dans la science qu’ils ont choisi d’en faire leur métier. Jamy Gourmaud parle de son père, chef d’entreprise, de sa mère, au foyer, et de son grand-père, agriculteur. Il l’a mis sur un tracteur à l’âge de 6 ans. De son amour pour la nature. «C’est dramatique, soupire-t-il, je n’ai pas de passion, comme certains pourraient avoir pour la musique, le dessin…»Il divague sur un doux éloge de l’ennui. «J’ai besoin de ces moments d’observation et de calme. J’ai le sentiment qu’on ne prend pas suffisamment le temps de profiter du monde, des atmosphères qui nous entourent.»
On a jeté un coup d’œil à sa grande bibliothèque. Mais l’examen nous a laissée plus confuse qu’autre chose : s’y côtoient Colette, Guillaume Musso, Aragon, David Pujadas, Henry Miller et Révolution d’Emmanuel Macron. Emmanuel Macron ? Il dit l’avoir lu, ajoute plus sèchement : «Il y a des livres qui pour moi sont plus importants que celui-ci.» Mais pas un mot de plus. Quand on parle politique et argent, il est aussi méfiant et secret qu’il devient loquace pour les sujets de science. Il ne parvient pas à concevoir qu’on puisse ne pas voter, ni qu’on brise le secret de l’isoloir. Il dit ne rien condamner, toujours essayer de comprendre. Mais s’indigne quand il évoque l’alerte des scientifiques sur le déclin de la biodiversité, s’interroge sur l’accord de libre-échange passé entre l’Union européenne d’un côté, l’Australie et la Nouvelle-Zélande de l’autre. Dans son livre, il évoque la centrale de Fessenheim, «dernier monstre à dompter sur cette terre de légendes». Mais bute sur l’étiquette écolo, tourne autour du pot. Pourquoi ? «Je n’ai pas envie d’être un militant, j’observe les choses et j’y prends beaucoup de plaisir.»
C’est pas sorcier, disparue depuis six ans, continue d’entourer le journaliste d’une aura d’icône geek, madeleine de Proust qui ramène aux veilles de vacances, quand des profs lassés laissaient Fred et Jamy expliquer pour eux l’espace ou les fourmis. Myriam Bounafaa, qui a présenté avec lui le Monde de Jamy, a un nombre incalculable d’anecdotes à raconter, comme cette fois sur une aire d’autoroute, où ils ont croisé une équipe de basket, «des grands mecs, baraques en survêt». «Ils ont vu Jamy, ces gaillards de 2,10 m, et ils sont revenus à 1,20 m. C’était à nouveau des enfants, à se presser pour faire des selfies avec lui», se souvient-elle en rigolant. Ou à bord d’un ferry, lorsque le capitaine lui a dit :«C’est grâce à vous que j’ai compris comment mon bateau fonctionnait !» Quelque part dans le ciel, «entre les planètes telluriques et les planètes gazeuses», un petit caillou se promène dans la ceinture d’astéroïdes. Il s’appelle 23 877 Gourmaud et il a été nommé en 1998 par un astronome fan de l’émission. «La réflexion qui revient le plus souvent, dit Jamy, c’est : « Vous m’avez donné envie de faire ce que je fais aujourd’hui. » Je ne peux pas me plaindre de ça. On m’a demandé récemment : « Est-ce que ça a changé votre vie ? » J’ai répondu : »Non, ça a fait ma vie« .»
17 janvier 1964 Naissance à Fontenay-le-Comte (Vendée).
1994-2013 C’est pas sorcier.
2014 Commence à présenter le Monde de Jamy.
2019 Mon Tour de France des curiosités naturelles et scientifiques (Stock).